La mise en œuvre de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) implique que l’ensemble des secteurs d’activité développe la production d’origine renouvelable, et notamment l’énergie produite à partir de biomasse agricole et forestière (bois énergie, méthanisation, biocarburants, etc.).
Les projets de méthanisation agricole s’inscrivent dans cette stratégie en permettant une production de gaz renouvelable, d’origine non fossile, à l’échelle d’une exploitation agricole. Techniquement, une telle unité de méthanisation intègre les déchets non dangereux et la matière végétale brute de la ferme dans un processus de digestion anaérobie (sans dioxygène) qui produit du gaz.
Le cadre juridique applicable à de tels projets de production d’énergies renouvelables est issu principalement du code de l’environnement, qui fixe les conditions dans lesquelles une unité de méthanisation peut être créée et exploitée.
A travers l’examen de deux décisions en justice récentes du Tribunal administratif de Nantes, concernant le permis de construire et l’arrêté d’exploitation ICPE d’une unité de méthanisation agricole, ce focus vient éclairer trois points de droit importants pour les porteurs de ce type de projets :
Source :
TA Nantes, 8 juil. 2025, n°2413916 : https://www.doctrine.fr/d/TA/Nantes/2025/TA32DE21801D6F3BD10327
TA Nantes, 23 sept. 2025, n°2418353 : https://www.doctrine.fr/d/TA/Nantes/2025/TA24CE5BEAB95FE07A023B
Pour rappel, le code de l’environnement prévoit trois régimes administratifs applicables aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) : celui de la déclaration préalable, de l’enregistrement (autorisation simplifiée) et celui de l’autorisation environnementale.
Le régime applicable dépend du dépassement de seuils fixés par une nomenclature établie par décret.
Une installation de méthanisation de déchets agricoles relève de la rubrique 2781 de cette nomenclature des ICPE et les seuils réglementaires dépendent de la quantité journalière de matière pouvant être traitée :
L’article L.512-7-2 du code de l’environnement prévoit qu’une ICPE soumise au régime de l’enregistrement est, en principe, dispensée d’une évaluation environnementale préalable et qu’il incombe au préfet saisi de la demande de se livrer à un examen du dossier afin d’apprécier si le projet doit être soumis au régime de l’autorisation environnementale et ainsi faire l’objet d’une évaluation environnementale.
Cet examen repose sur la localisation du projet et sur la sensibilité environnementale de la zone d’implantation et des autres critères mentionnés à l’annexe III de la directive européenne n°2011/92/UE relatifs notamment aux caractéristiques du projet et aux types et caractéristiques de son impact potentiel sur l’environnement.
Dans le jugement du 23 septembre 2025, le Tribunal administratif de Nantes était saisi d’un recours contre l’arrêté préfectoral portant enregistrement de l’unité de méthanisation, délivré au titre de la législation des installations classées.
Le jugement est intéressant concernant l’analyse des critères relatifs à l’examen du maintien sous le régime de l’enregistrement.
D’une part, assez classiquement en droit, le Tribunal administratif a jugé que les installations de méthanisation proprement dites n’étaient pas envisagées dans un secteur sensible, à savoir que :
D’autre part, l’analyse du plan d’épandage des digestats (résidus organiques post-méthanisation) est plus intéressante puisque le jugement commenté a pris en compte assez précisément les caractéristiques du projet des exploitants agricoles, afin de confirmer que le régime d’enregistrement ICPE était bien pertinent et applicable.
La particularité de ce plan d’épandage des digestats sur les terres agricoles est qu’une partie des parcelles est située dans l’aire d’alimentation de captage d’eau potable (AAC) et un quart du parcellaire dans la zone d’action renforcée, c’est-à-dire déjà identifiées comme dégradées par la pollution liée aux nitrates.
La sensibilité environnementale de cette zone de captage a donc été analysée par le Tribunal, qui a considéré que :
Au regard de cette analyse, et comme l’exploitant le faisait valoir, le Tribunal a jugé que le régime d’enregistrement ICPE est adéquat pour son installation de méthanisation et son plan d’épandage.
Source :
TA Nantes, 23 sept. 2025, n° 2418353 : https://www.doctrine.fr/d/TA/Nantes/2025/TA24CE5BEAB95FE07A023B
Les projets soumis à étude d’impact sont définis dans la nomenclature annexée à l’article R.122-2 du code de l’environnement. Elle définit quels projets doivent faire l’objet d’une évaluation environnementale, soit de manière systématique, soit après analyse de l’Administration au « cas par cas ».
Une installation classée soumise au régime de l’enregistrement est dispensée, en principe, d’évaluation environnementale.
Dans le cadre de l’instance contentieuse, les tiers requérants soutenaient que l’unité de méthanisation aurait dû être soumise à une évaluation environnementale dès lors qu’elle entraînerait la réalisation d’un raccordement au réseau de gaz sur plusieurs kilomètres, ce qui constituerait un projet susceptible d’impacter les cours d’eau et les boisements.
La question posée est celle de l’applicabilité, dans le cadre d’une unité de méthanisation, de la rubrique 37 de la nomenclature « étude d’impact » qui concerne la catégorie de projets « canalisations de transport de gaz inflammables, nocifs ou toxiques, et de dioxyde de carbone en vue de son stockage géologique ».
A notre connaissance, cette question était inédite dans un jugement au fond.
Le tribunal administratif de Nantes a rejeté le moyen développé et a jugé :
« que le biométhane sera injecté dans le réseau GRDF via un poste d’injection, propriété de GRDF, situé sur le domaine privé de la société Energie 2 L’Elevage, avec accès direct depuis le domaine public, et, d’autre part, que la canalisation qui reliera l’unité de méthanisation au réseau de distribution réalisé et exploité par GRDF est une canalisation de distribution, et non une canalisation de transport de gaz au sens des dispositions de l’article L.554-6 du code de l’environnement précitées.
Par conséquent, le raccordement de l’unité de méthanisation au réseau GRDF n’est pas soumis au respect des dispositions de la rubrique 37 de la nomenclature annexée à l’article R. 122-2 du code de l’environnement et ne nécessite pas la réalisation d’une évaluation environnementale.
Au surplus, et en tout état de cause, la construction de cette canalisation relève uniquement de la compétence du gestionnaire du réseau de distribution de gaz, et n’a pas à faire l’objet d’une description par le pétitionnaire dans le dossier d’enregistrement de l’unité de méthanisation. »
Pour être précis en droit, le Tribunal s’est fondé sur l’article L. 554-6 du code de l’environnement qui prévoit :
« une canalisation de transport achemine des produits liquides ou gazeux à destination de réseaux de distribution, d’autres canalisations de transport, d’entreprises industrielles ou commerciales ou de sites de stockage ou de chargement.
Une canalisation de distribution est une canalisation, autre qu’une canalisation de transport, desservant un ou plusieurs usagers ou reliant une unité de production de biométhane au réseau de distribution. Les canalisations reliant une unité de production de biométhane au réseau de transport sont soumises aux dispositions du présent code applicables aux canalisations de distribution, dès lors qu’elles respectent les caractéristiques et conditions mentionnées à l’article L.554-5 fixées pour de telles canalisations, ainsi qu’aux dispositions de la section 4 du chapitre V du présent titre. ».
Cette répartition entre les deux procédures est une clarification juridique importante et très utile pour les porteurs de projet d’une unité de méthanisation, les bureaux d’études qui les accompagnent et les services de l’Etat chargés d’instruire ces demandes.
Dans le cadre de la contestation du permis de construire l’unité de méthanisation agricole, qui autorise l’édification des bâtiments de stockage de fumier, le digesteur et le post-digesteur, le Tribunal administratif s’est penché sur un point de procédure applicable spécifiquement aux installations de production d’énergies renouvelables.
Il s’agit de l’article R.311-6 du code de justice administrative, issu du Décret n° 2022-1379 du 29 octobre 2022 relatif au régime juridique applicable au contentieux des décisions afférentes aux installations de production d'énergie à partir de sources renouvelables.
Dans l’objectif d’accélérer le traitement des litiges, ce dispositif temporaire prévoit un régime contentieux dérogatoire sur les aspects suivants :
Les projets concernés par ce régime sont notamment :
Ce dispositif s’applique à l’autorisation d’exploitation délivrée au titre du code de l’environnement, mais également à l’autorisation d’urbanisme correspondante ainsi qu’aux autres démarches administratives nécessaires au projet.
Il peut s’agir, entre autres, d’une déclaration au titre de la « loi sur l’eau », de prescriptions archéologiques, d’une autorisation d'occupation du domaine public, d’une autorisation de défrichement, etc.
Ce régime contentieux prévu par l’article R.311-6 du code de justice administrative se trouve à s’appliquer au permis de construire délivré pour la construction d’une unité de méthanisation agricole à la ferme.
Dans ce sens, le jugement rendu par le Tribunal administratif de Nantes a jugé qu’il résulte de :
« la combinaison de ces dispositions que le délai de recours contentieux contre un permis de construire délivré pour une installation de méthanisation de déchets non dangereux ou de matière végétale brute est de deux mois. Il court à compter de l’affichage sur le site d’un panneau comprenant les informations mentionnées notamment aux articles A. 424-16 et A. 424-17 du code de l’urbanisme ».
« La circonstance que le préfet ait accusé réception du recours gracieux formé par les requérants le 14 mai 2024 sans mentionner les voies et délais de recours est sans incidence sur le délai de recours contentieux applicable, dès lors que, comme indiqué au point 6, ce recours administratif ne prorogeait pas le délai de recours contentieux ».
De ce fait, l’affichage réglementaire du permis de construire effectué sur place durant deux mois – ce qui avait été constaté à trois reprises par un Commissaire de justice –, fait courir « le délai de recours contentieux, qui revêt le caractère d’un délai franc, a commencé à courir le vendredi 19 avril 2024 et a expiré le jeudi 20 juin 2024 sans que le recours gracieux formé le 14 mai 2024 ait été de nature à l’interrompre ».
Par conséquent, le Tribunal a rejeté la requête des tiers enregistrée le 10 septembre 2024 comme étant tardive, c’est-à-dire déposée après le délai réglementaire.
Le permis de construire est alors juridiquement purgé du recours des tiers.
TA Nantes, 1re ch., 8 juil. 2025, n°2413916 : https://www.doctrine.fr/d/TA/Nantes/2025/TA32DE21801D6F3BD10327
A l’image de cet exemple contentieux relatif au développement d’une unité de méthanisation, le droit des installations classées embrasse des questions juridiques et techniques de fond et de procédure qui nécessitent un accompagnement juridique spécifique des porteurs de projets, le plus en amont possible du développement du projet mais également, parfois, devant les juridictions.
Avocat spécialiste en droit de l'environnement
Associé du cabinet SQUAIR