Le tribunal administratif fédéral autrichien a récemment retoqué un modèle de « Consent or Pay » mis en place par le quotidien Der Standard. Cette décision s’inscrit dans un contexte européen marqué par la multiplication des offres « consentir ou payer », adoptées notamment par Meta, et soulève une question centrale : peut-on véritablement parler de consentement libre lorsque l’alternative est de payer pour protéger sa vie privée ?
Ce débat ne concerne pas uniquement les géants du numérique ou les éditeurs de presse. De nombreux prestataires de services numériques explorent aujourd’hui des modèles de monétisation incluant de la publicité personnalisée, de la collecte de données comportementales, ou des versions freemium conditionnées à un certain niveau de traitement des données. Dans ce contexte, les enseignements tirés de la décision Der Standard sont précieux.
Le « Consent or Pay » (ou « Pay or OK ») repose sur un choix binaire : soit l’utilisateur consent à l’utilisation de ses données personnelles pour de la publicité ciblée, soit il refuse et doit payer une contrepartie financière, souvent sous forme d’abonnement.
Les médias européens, confrontés à l’érosion de leurs revenus publicitaires, ont rapidement adopté ce système pour tenter de concilier gratuité des contenus sur Internet et respect du RGPD.
Ce mécanisme a séduit Meta qui, dès 2023, a proposé sur ses plateformes Instagram et Facebook un abonnement mensuel sans publicité pour les utilisateurs refusant le suivi. Mais cette alternative est-elle réellement conforme au droit européen ?
Si le mécanisme du « Consent or Pay » est régulièrement débattu et critiqué, les autorités qui se prononcent sur le sujet ramènent toujours la discussion à un même principe : le consentement n’a de valeur que s’il est véritablement libre. Dès lors que l’option payante devient disproportionnée ou qu’aucune alternative équivalente n’est disponible, le choix offert à l’utilisateur se réduit à une contrainte déguisée.
Le Comité européen de la protection des données (« EDPB ») a ainsi souligné, dans un avis de 2024, que la plupart des modèles « Consent or Pay » ne permettent pas de garantir un consentement valide. Selon lui, les grandes plateformes devraient proposer une option réellement équivalente et gratuite.
La CNIL, pour sa part, s’est prononcée directement sur la question des « cookie walls », qui illustrent concrètement les difficultés liées à la validité du consentement dans les modèles « Consent or Pay ». Elle admet qu’un éditeur puisse conditionner l’accès à son contenu à l’acceptation de traceurs, mais uniquement si une alternative réelle, satisfaisante et proposée à un tarif raisonnable existe.
Quant à la Commission européenne, elle a infligé à Meta une amende de 200 millions d’euros en avril 2025 pour non-respect du Digital Markets Act, reprochant précisément à l’entreprise de ne pas avoir proposé d’option réellement équivalente au paiement de l’abonnement.
On peut dès lors se demander si la récente décision autrichienne constitue un véritable tournant, ou si elle ne fait que s’inscrire dans la continuité des positions déjà adoptées par les autorités européennes.
Le débat autour du « Consent or Pay » ne peut être dissocié des enjeux économiques qu’il soulève pour les éditeurs de services numériques. En pratique, le tarif de l’abonnement « sans publicité » doit compenser la perte de revenus publicitaires tout en demeurant acceptable pour l’utilisateur. Si le montant est jugé excessif, il risque de transformer l’alternative en contrainte économique, compromettant ainsi la liberté du consentement.
À cela s’ajoutent les coûts techniques et organisationnels liés à la mise en œuvre d’un consentement conforme : granularité des finalités, expérience utilisateur, conformité des plateformes de gestion du consentement (CMP), etc. Ces exigences peuvent représenter une charge significative, en particulier pour les acteurs de taille intermédiaire.
Pour autant, un modèle bien calibré peut devenir un levier de différenciation : diversification des sources de revenus, segmentation claire de l’offre (freemium/premium), valorisation d’un positionnement éthique en matière de données, fidélisation d’une clientèle sensible à la protection de sa vie privée. Encore faut-il que cette promesse soit lisible, crédible et économiquement soutenable.
La décision rendue contre Der Standard ne condamne pas purement et simplement le modèle du « Consent or Pay ». Elle porte avant tout sur les modalités de mise en œuvre, et notamment sur le défaut de granularité du consentement. Le tribunal administratif fédéral autrichien a reproché au quotidien d’avoir imposé aux internautes un accord global au suivi publicitaire, sans possibilité de distinguer les différentes finalités de traitement. Or, le RGPD exige précisément que le consentement soit spécifique, donné finalité par finalité, afin que l’utilisateur puisse exercer un contrôle réel sur ses données.
Autrement dit, le problème ne résidait pas tant dans l’existence du mécanisme que dans la manière dont il a été appliqué. Fort heureusement, plusieurs critères émergent des positions des autorités européennes et nationales. Ces critères offrent un cadre de référence pour les acteurs souhaitant mettre en place ce type de modèle.
D’abord, l’exigence d’un véritable choix. L’EDPB a souligné qu’un consentement n’est pas libre si l’utilisateur est enfermé dans une alternative binaire : payer ou accepter la publicité ciblée. Pour être valide, l’option proposée en cas de refus doit être équivalente et, dans l’idéal, gratuite. C’est là qu’intervient la publicité contextuelle, qui permet de financer un service sans recourir au profilage intensif.
Ensuite, la question du prix est centrale. La CNIL, dans ses critères relatifs aux cookie walls, a admis la possibilité de demander une contribution financière. Mais celle-ci doit rester raisonnable et ne pas pousser l’utilisateur, par contrainte économique, à renoncer à sa vie privée. Le tarif doit donc être proportionné au service rendu et justifiable de manière transparente. Dans cette optique, Meta a abaissé le montant de son abonnement quelques mois après la mise en place de son mécanisme de « Consent or Pay ».
Enfin, le consentement doit être recueilli finalité par finalité : publicité ciblée, personnalisation de contenu, partage avec des partenaires tiers, etc. Sans cette distinction, l’utilisateur se voit imposer un accord global qui vide de sens la liberté de choix. C’est précisément ce manquement qui a valu la condamnation de Der Standard. Cette nécessaire granularité avait déjà été rappelée par la CNIL dans son article dédié aux cookie walls.
En définitive, si vous envisagez de mettre en place un modèle de « Consent or Pay », vous devez garder à l’esprit qu’il ne s’agit pas d’une solution miracle mais d’un mécanisme exigeant, surveillé de près par les autorités. Plus largement, la question des cookies reste un sujet brûlant : de nouvelles recommandations, comme celles récemment publiées par la CNIL sur les outils de mesure d’audience, rappellent qu’il est essentiel de rester attentif aux évolutions réglementaires et jurisprudentielles.
Pour toute question ou accompagnement, n’hésitez pas à nous solliciter en écrivant à cchance@squairlaw.com.
Caroline Chancé, avocate associée et Victoire Grosjean-Moretti, avocate collaboratrice chez Squair